par Stéphane Durand
Jusqu’il y a quelques années, l’idée d’univers parallèles était “hérétique” même chez les physiciens. Les rares physiciens qui publiaient des articles sur le sujet étaient pointés du doigt, et certains même ont presque ruiné leur carrière en travaillant sur ce sujet.1 Mais tout a changé vers la fin des années 90, entre autres grâce à une prédiction de Steven Weinberg (prix Nobel de physique) faite en 1987. Il avait alors prédit la valeur potentielle de l’énergie du vide (ou énergie noire) à partir d’un argument dit “anthropique”, relié à l’idée d’univers parallèles. Cette prédiction a été confirmée par la suite, à la fin des années 90, lors de la découverte de l’accélération de l’univers et de la densité d’énergie manquante dans l’univers pour expliquer cette accélération.
Précisons que les univers parallèles ne sont pas une théorie mais une conséquence (ou une prédiction) de certaines théories.2 En fait, ce qui est fascinant, c’est de constater que l’idée d’univers parallèles surgit de toutes sortes de façons (souvent inéluctables) de plusieurs théories complètement différentes et indépendantes. En effet, elle surgit:
- de la relativité générale d’Einstein : comme les sorties de trous de vers dans d’autres univers.3
- de la théorie de la sélection naturelle cosmologique : comme bébés-univers nés à partir de trous noirs dans notre univers; notre univers étant lui-même né d’un univers-parent.4
- de la théorie de l’inflation-chaotique : comme univers-bulles indépendants et déconnectés les uns des autres.
- de la théorie des cordes généralisée (appelée aussi M-théorie) : comme différentes membranes dans un “bulk-univers”; ce qu’on appelle le braneworld scenario.
- de la mécanique quantique : via l’interprétation d’Everett, appelée interprétation des mondes multiples ou many-worlds interpretation.
Contre toute attente, il existe des façons de tester toutes ces idées! En voici quelques-unes associées aux théories numérotées ci-dessus:
- On envoie un signal dans un trou noir (ou tout autre type d’entrée de trous de vers): si le signal ressort ailleurs dans notre univers, sans être passé dans la région physique entre l’entrée et la sortie, c’est la preuve que les trous de vers existent et qu’ils passent par d’autres dimensions inaccessibles à nos sens. Autrement dit, c’est la preuve que l’hyperespace existe. Et par conséquent, l’idée d’univers parallèles se trouvant ailleurs dans cet hyperespace devient très plausible: cela consiste tout simplement en la sortie d’un trou de vers dans un autre univers plutôt que dans le nôtre.
- Cette théorie fait des prédictions sur la masse limite des étoiles à neutrons et sur la façon dont les étoiles massives se forment. Aucune n’a été infirmée à ce jour.
- Les collisions d’univers-bulles (comme le nôtre) pourraient laisser des traces dans le cosmos. Déjà certains calculs ont été faits et certaines prédictions expérimentales existent.
- Plusieurs prédictions découlant des dimensions supplémentaires prédites par cette théorie ont été établies: loi de la gravité différente de 1/r2 à très petites échelles, ainsi que signatures particulières dans les collisions au LHC (le collisionneur du CERN): perte d’énergie via les dimensions supplémentaires5 et formation de mini-trous noirs rendue possible par la gravité amplifiée à petite échelle. Ces prédictions ne concernent pas directement la détection d’univers parallèles, mais la détection des dimensions additionnelles qui sont le cadre d’existence des univers parallèles.
- Si on réussit à inverser une mesure quantique (ce que la technologie présente ne permet pas encore de faire), alors l’interprétation d’Everett ne conduit pas aux mêmes prédictions que l’interprétation standard de la mécanique quantique.
De plus, de façon plus générale, les différentes versions d’univers parallèles pourraient faire des prédictions statistiques sur la valeur de certains paramètres ou constantes dans l’univers.
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Mais peut-être que l’indice le plus puissant pour l’existence d’univers parallèles est l’apparent ajustement des constantes de la nature pour que la vie puisse apparaître dans l’univers! Voir “L’univers est-il ajusté pour nous?”6
1 Cela semble avoir été clairement le cas pour au moins un: Hugh Everett, l’initiateur de l’interprétation des mondes multiples de la mécanique quantique…
2 On parle aussi de “multivers” comme synonyme d’univers multiples ou d’univers parallèles (ou de mondes multiples en mécanique quantique).
3 L’hyperespace dans lequel se déploient les courbures d’espace (par exemple, les tunnels des trous de vers) peut aussi être considéré comme un espace parallèle.
4 Variante du no 1 mais prédictions différentes (voir plus loin dans le texte).
5 Très semblable au manque d’énergie qui avait permis de prédire l’existence des neutrinos.
6 Cet ajustement fin peut être considéré comme un cas particulier du paragraphe précédent.